20/02/2025 mondialisation.ca  9min #269433

 Pourparlers Russie-États-Unis en Arabie saoudite : Moscou dévoile ses émissaires, Washington cherche encore son négociateur en chef

Les nouvelles du front des négociations : la Russie reste ferme face aux Etats-Unis

Par  Karine Bechet-Golovko

Après la première rencontre des délégations russe et américaine, certains éléments ont été précisés et l'ambiance générale tranche (pour l'instant) franchement avec celle des négociations antérieures. Les Etats-Unis sont maintenus en position de demandeur et la Russie a bloqué les tentatives de dérives atlantistes, directes et indirectes. Le jeu continue et s'intensifie. C'est un long processus, qui n'en est qu'à ses débuts.

Les discussions furent intenses et, somme toute, rapides. Cette fois-ci, la mise en scène n'a pas été celle d'une fausse amitié, le sérieux était de rigueur et la tension palpable. Les délégations avaient leur circuit propre d'accès à la salle des « pourparlers sur les pourparlers », leurs ascenseurs propres avec leurs journalistes. La dimension économique de la discussion a été isolée. Pas de poignée de main, ni avant, ni après. Pas de photos de famille. On n'est pas dans la posture.

A la fin de ce premier round de pourparlers,  Ouchakov a été d'un optimisme modéré et justifié :

– Les négociations entre les délégations russe et américaine se sont bien déroulées.
– Selon lui, il y a eu une discussion sérieuse sur toutes les questions.
– La Russie et les États-Unis ont convenu de faire progresser les relations bilatérales, et Moscou et Washington sont tous deux intéressés par cela.
– Il est difficile de dire pour l'instant, si les positions de la Russie et des États-Unis convergent, mais on en a parlé à Riyad.
– Des équipes séparées de négociateurs russes et américains entameront des contacts sur l'Ukraine en temps voulu.

En discutant avec les journalistes, Ouchakov a calmé leurs ardeurs à voir rapidement d'ici fin février organisée une réunion entre Trump et Poutine – cela demande encore beaucoup de travail. Ce que Peskov a confirmé de son côté ensuite.

La  délégation américaine a elle aussi fait plusieurs déclarations, dont pour l'essentiel :

▪️ Mettre fin au conflit en Ukraine nécessitera une « diplomatie difficile et intense » sur une longue période

▪️ Mettre fin au conflit en Ukraine nécessitera des concessions de toutes les parties et n'est possible qu'avec leur consentement, les conditions doivent être « acceptables » pour tous

▪️ Trump veut mettre fin au conflit en Ukraine de manière équitable et empêcher sa reprise « dans 2-3 ans »

▪️ L'UE doit être à la table des négociations à un moment donné, car elle a imposé des sanctions contre la Russie

▪️ L'avenir du processus de négociation sur l'Ukraine sera déterminé par la volonté des parties de « tenir leurs promesses », cela se démontrera dans les semaines à venir

▪️ La fin du conflit en Ukraine ouvrira la voie à la coopération économique et géopolitique entre la Russie et les États-Unis

▪️ Il n'y a pas eu de contacts significatifs entre les États-Unis et la Russie depuis près de trois ans, la réunion de Riyad a jeté les bases d'une interaction future

▪️ Les travaux visant à rétablir les activités des missions diplomatiques russes et américaines pourraient être assez rapides

▪️ Le rétablissement du fonctionnement normal des missions diplomatiques américaines et russes constitue la « prochaine étape » du processus de négociation entre les deux pays

▪️ Les États-Unis considèrent, qu'il est impossible de négocier avec la Russie sur l'Ukraine sans le fonctionnement normal des missions diplomatiques »

Dans le discours américain, l'Ukraine est bien l'objet et non pas le sujet des négociations et l'implication de l'UE est envisagée du point de vue de la levée des sanctions. C'est certainement pour cela, que les pays de l'UE viennent de se mettre d'accord sur un nouveau paquet de sanctions contre la Russie. La carotte US : le fric, pardon le rétablissement des relations commerciales après le conflit. Ce qui de toute manière est une évidence. Donc, la carotte est plutôt déshydratée.

Ensuite, Lavrov a donné une conférence de presse, compacte.

Le  premier point est celui du principe de la restauration des relations bilatérales américano-russes :

Quand les intérêts nationaux coïncident, il faut tout faire pour unir les efforts dans ces directions et réaliser des projets mutuellement bénéfiques dans la sphère géopolitique et dans les affaires économiques.

Ce qui conduit le NYT à acter aujourd'hui l'échec de la politique d'isolement de la Russie. Ce n'est pas qu'elle ait particulièrement fonctionné avant, mais aujourd'hui c'est officiellement une défaite atlantiste sur ce point :

« La réunion, qui a eu lieu en Arabie saoudite, a été une réinitialisation vertigineuse des relations russo-américaines après trois années d'efforts occidentaux pour isoler Moscou »

Le second point important est celui de la restauration des missions diplomatiques dans leur volume initial, avec la nomination respective des ambassadeurs, la fin des entraves au fonctionnement normal de la mission diplomatique russe aux Etats-Unis et la restauration à la Russie des biens immobiliers de sa mission diplomatique, alors spoliés.

Cela est posé comme la base de la réalisation effective d'une coopération entre les deux pays. Si ce point se réalise, alors ce sera déjà une belle victoire diplomatique de la Russie. Symbolique, mais aussi politique.

Ensuite, troisième point, l'Ukraine. La Russie maintient ici les Etats-Unis en position de demandeur :

Nous avons convenu que dans un proche avenir, un processus de règlement ukrainien serait mis en place. La partie américaine communiquera qui représentera Washington dans le cadre de ce travail. Dès que nous connaîtrons le nom et le poste du représentant correspondant, comme le Président russe Vladimir Poutine l'a dit au Président américain Donald Trump, nous désignerons immédiatement notre participant à ce processus.

La Russie adaptera la composition de la délégation spéciale pour négocier la question ukrainienne, en fonction du niveau de représentation choisi par les Etats-Unis. Si les Etats-Unis veulent réellement tenter un règlement du conflit, il faut une composition de haut niveau, dans tous les cas leur volonté sera claire et la Russie en prendra note.

Et les Etats-Unis ne sont absolument pas certains de leur victoire en cas de confrontation militaire directe avec la Russie, ce que  Trump a rappelé :

« Ils (Les Russes) ont une machine puissante. Vous comprenez cela ? Et ils ont vaincu Hitler et ils ont vaincu Napoléon. Vous savez, ils se battent depuis longtemps. Ils l'ont déjà fait … (…) Je pense qu'il (Poutine) veut arrêter. C'était ma question. Parce que s'il continuait, ce serait été un gros problème pour nous, et cela me causerait un gros problème, parce qu'on ne peut pas laisser cela se produire. »

Parallèlement, la Russie a désamorcé quatre pièges.

Le premier, le plus grossier, était celui de l'apparition magique de Zelensky, qui se promenait chez les voisins. La Russie ayant bloqué immédiatement cette tentative en rappelant qu'il s'agit de pourparlers concernant la restauration des relations bilatérales entre les Etats-Unis et la Russie, Zelensky a annulé, selon le NYT, la visite qu'il avait prévu de faire aujourd'hui en Arabie Saoudite.

Le deuxième piège fut celui de l'arrêt des frappes russes – sur les infrastructures énergétiques évidemment et non moins évidemment pour des raisons strictement humanitaires. Lavrov a coupé court en précisant que la Russie ne cible que les infrastructures utilisées par l'armée, il n'y a donc aucune raison de suspendre ces frappes.

Le troisième piège était celui d'un vrai/faix plan de paix américain porté par Kellog, secret mais fuité par les Polonais, qui aurait été en trois points et aurait prévu des élections en Ukraine. Bref, un énième Minsk. Lavrov a déclaré ne pas l'avoir vu et avoir donc adressé la question à la délégation américaine, qui a bien été obligée de faire marche arrière et de démentir l'existence d'un tel plan. Et Lavrov de déclarer :

Aujourd'hui, j'ai demandé au Secrétaire d'État américain Marco Rubio et à Mike Waltz ce que cela signifiait. Ils ont répondu que c'était une infox.

Le quatrième piège, celui d'une occupation militaire de l'Ukraine par des forces armées de pays de l'OTAN, quelle qu'en soit la raison, a été torpillé par Lavrov, rappelant que si Trump comprend qu'une entrée de l'Ukraine dans l'OTAN est inacceptable pour la Russie, il doit bien comprendre que la présence de militaires de pays de l'OTAN en Ukraine revient à la même chose pour la Russie :

À cet égard, nous avons expliqué à nos collègues que le Président russe Vladimir Poutine avait souligné à plusieurs reprises que l'élargissement de l'Otan, l'absorption de l'Ukraine par l'Alliance nord-atlantique représentait une menace directe pour les intérêts de la Fédération de Russie et notre souveraineté. Et donc l'apparition de troupes des forces armées des mêmes pays de l'Otan, mais sous un autre drapeau, sous le drapeau de l'Union européenne ou sous des drapeaux nationaux, ne change rien à cet égard. C'est inacceptable pour nous.

Evidemment, les Etats-Unis ne veulent pas (dans un premier temps) envoyer leurs militaires sur le front ukrainien, c'est le rôle dévolu aux colonies européennes. C'est d'ailleurs en substance ce que  Macron déclare, en affirmant que la France ne va pas envoyer des troupes de manière autonome, mais dans le cadre de la stratégie de Trump, qui ouvre un jeu plus complexe que sous Biden :

« Lors du sommet de 2024 à Paris, j'avais dit qu'il fallait remettre de l'ambiguïté stratégique, c'était une nécessité. Je n'ai absolument jamais annoncé l'envoi de troupes au sol du côté français. Aujourd'hui, la France ne s'apprête pas à envoyer de troupes sur le sol. Nous réfléchissons à des garanties sécuritaires. Cette ambiguïté stratégique, c'est au fond ce qu'apporte l'élection de Donald Trump. Il recrée de l'incertitude stratégique pour le président Poutine là où son prédécesseur avait dit Jamais je n'enverrai de troupes sur le terrain. Cette incertitude, elle nous sert en ce qu'elle peut aider à faire pression »

La Russie a fait un sans-faute lors de cette première rencontre, maintenant il va falloir tenir la longueur. Le temps joue pour elle.

Karine Bechet-Golovko

La source originale de cet article est  Russie politics

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